L'autisme, c'est avoir un fonctionnement différent
L’imagerie médicale moderne a démontré plusieurs différences structurelles au niveau du cerveau des personnes autistes. Par exemple des faisceaux neuronaux plus ou moins nombreux que la norme, des différences au niveau de l'amygdale, de l'hippocampe, du tronc cérébral, du cervelet, du corps calleux et du cortex cérébral. Les recherches récentes démontrent aussi des différences au niveau de la chimie du cerveau. Tout ceci fait en sorte que la manière de penser, les perceptions sensorielles, les interactions sociales, le langage, les émotions, tout cela est différent pour la personne autiste.
Être autiste, c’est donc vivre avec des différences importantes, sur les plans physiologique, anatomique, biochimique, émotionnel, sensoriel, cognitif, communicationnel, etc. Différences qui causent des déficiences. Nos déficiences causent des incapacités, qui nous mettent en situation de handicap dans presque toutes les sphères de la vie adulte. Nous avons aussi une courbe développementale différente de la norme et souvent unique à chaque personne autiste. C'est-à-dire que nous développons telle capacité plus tôt ou plus tard que les personnes non autistes. Parfois, ces retards développementaux peuvent se compter en décennies, même pour les adultes autistes qu'on dit à faible besoin de soutien.
Qu'est-ce que c'est une situation de handicap?
Le mot handicap veut simplement dire qu'une personne est désavantagée par rapport aux autres. Il y a une grande variabilité dans les profils cognitifs et sensoriels des personnes autistes. Voici un exemple : Telle personne autiste a une déficience de mémoire de travail qui entraine une incapacité à faire du calcul mental, ce qui la place en situation de handicap par rapport aux autres employés du commerce où elle travaille, car elle ne peut pas rendre le change correctement et donc travailler aux caisses.
La société a beaucoup de difficulté à croire aux déficiences invisibles. Et comme les déficiences cognitives et les anomalies sensorielles sont invisibles, les personnes autistes sont souvent victimes de jugements moralisateurs tels que : paresseux, opposant, profiteur, etc. Les personnes non autistes n'arrivent pas à imaginer qu'un être humain soit incapable de faire quelque chose qui pour elles est simple et facile. Alors, elles doivent trouver une explication au "refus" de la personne autiste de "se conformer". Mais aucune quantité de punitions, d'exclusion sociale, de violence verbale, psychologique ou physique, ne permettra à une personne qui a une incapacité causée par une déficience de réussir à répondre aux attentes à la normalité. Seuls du soutien et des accommodements pourront peut-être permettre de pallier la déficience, pourvu que l'écart ne soit pas trop grand entre l'exigence et la capacité de la personne.
Cette dynamique du jugement moralisateur de nos incapacités invisibles constitue un des plus gros obstacles à l'inclusion des personnes autistes dans la société.
L'autisme, une banale différence ou un ensemble de déficiences?
On entend beaucoup cette question, qui entraîne de houleux débats, même au sein de la communauté autiste. Il y a ceux qui voudraient proclamer haut et fort qu’être autiste n’est pas être déficient, mais simplement être différent. Sur le plan purement théorique, c'est vrai pour toutes les personnes handicapées. Nous sommes tout simplement ce que nous sommes. Le hic, c’est que nul n’est une île, il nous faut vivre en société.
Et la société moderne est bâtie d’une manière qui est désavantageuse pour le fonctionnement cérébral des personnes autistes. De plus, la société ne tolère pas les déviations de la norme. À cause de tout cela, les différences et déficiences de nos cerveaux entraînent des incapacités et cela cause des situations de handicap.
Mais les situations de handicap ne sont pas toutes une fatalité. Si seulement la société acceptait de donner des accommodements aux personnes autistes, elles pourraient mener une vie active et productive.
Souvent, ces accommodements sont fort peu coûteux et relèvent davantage de la bonne volonté. Par exemple, si on laisse la personne qui a une hypersensibilité auditive porter des bouchons ou un casque antibruit, elle arrive à travailler dans un bureau à aire ouverte. Pourtant, même des accommodements aussi simples sont souvent refusés.
Il y a bien sûr certaines déficiences cognitives ou anomalies sensorielles qui entraînent des incapacités difficiles à pallier, même avec la meilleure volonté de tous et la technologie moderne. C'est pourquoi nous demeurons toute notre vie des personnes qui se retrouvent souvent en situation de handicap et qui ont par conséquent besoin de diverses formes de soutien et d'accommodements.
La personne autiste vit dans une bulle?
Beaucoup trop de gens croient encore que les autistes vivent dans une bulle, alors que c’est tout le contraire. Nous sommes incroyablement trop connectés avec l’environnement, autant l’environnement physique que l’environnement humain. Ce qui nous occasionne un énorme surplus d’information entrante à traiter, et par conséquent un délai de réaction ou même une incapacité à agir ou à parler, parce que nous sommes totalement débordés à traiter l’information entrante.
La définition médicale du trouble du spectre de l'autisme
Nous vous résumons ici, mais si vous voulez une version officielle, la Société canadienne de pédiatrie a une page sur le sujet de l'autisme. La meilleure source reste : description du CDC américain, en anglais.
En très résumé et vulgarisé, le diagnostic de trouble du spectre de l'autisme (TSA) comporte 5 critères :
- Des déficits persistants dans la communication et les interactions sociales.
- Des comportements, intérêts ou activités restreints ou répétitifs.
- Les symptômes doivent exister dès la jeune enfance.
- Les déficits sont observables et ont des impacts dans les activités sociales et professionnelles ou dans d’autres activités importantes de la personne.
- Une déficience intellectuelle développementale ou un retard global du développement ne peuvent pas mieux expliquer les difficultés de la personne.
Le médecin qui fait le diagnostic de TSA doit préciser le niveau de sévérité, pour les éléments 1 et 2 de la liste précédente. Il y a 3 niveaux de sévérité :
- Requérant un soutien
- Requérant un soutien important
- Requérant un soutien très important
Il est intéressant de noter que deux personnes autistes qui ont un même niveau de déficiences et d'incapacités peuvent être évaluées comme ayant des niveaux de sévérité différents. Cela est dû au fait que la première personne a un bon entourage, des parents ou d'autres proches qui ont la capacité (cognitive, émotive, monétaire, etc.) de lui donner le soutien requis pour pallier ses déficiences. Cette personne ne semble donc pas avoir beaucoup d'incapacités quand le médecin l'évalue. Tandis que l'autre personne, qui vit dans des conditions défavorables verra ses incapacités accentuées par le manque de soutien ou même par le simple manque de tolérance à la différence.
La notion de spectre
Dans la version 4 du DSM, la grande famille de l’autisme (alors nommée Troubles envahissants du développement) était divisée en 5 catégories. Bien des individus étaient difficiles à caser dans une catégorie, et pour cela il existait la catégorie fourre-tout : trouble envahissant du développement non spécifié.
Le DSM-5 considère l’autisme comme un continuum (pensez au spectre lumineux, soit l’infinité des couleurs possibles) plutôt que comme des catégories bien distinctes (vert, jaune, orange, rouge). C’est une nette amélioration, mais...
Plusieurs blogueurs autistes affirment que l’autisme serait encore mieux représenté avec une analogie à 2 ou à 3 dimensions (un spectre, ça a une seule dimension). Une blogueuse utilise l’analogie de la galaxie. Une galaxie, c’est un ensemble d’étoiles qui ont des particularités différentes (grosseur, couleur, etc.). Dans certains coins de la galaxie, il y a un plus grand nombre d’étoiles (les amas stellaires), ce qui fait drôlement penser aux catégories du DSM-4.
Des capacités en dents de scie
Ce qui est le plus compliqué quand on est un adulte autiste, c’est le fait que nous les autistes développons nos aptitudes de façon très inégale. C’est-à-dire que pour certaines choses, telle personne autiste est bien meilleure que la plupart des gens, vraiment meilleure. Mais, aussi, que pour d’autres choses elle n’atteint absolument pas le seuil minimum attendu pour un adulte. Alors que les personnes neurotypiques sont généralement minimalement capables d’effectuer la plupart des tâches attendues d’un adulte.
Aussi, le niveau de difficulté d’une personne autiste à effectuer une tâche peut varier considérablement d’une journée à l’autre, d’une heure à l’autre, d’un environnement physique à l’autre, selon le niveau de fatigue, de stress, d'anxiété, la présence ou l’absence d’accommodements ou de soutien, la présence d'un élément qui remémore un traumatisme, la possibilité d'utiliser des comportements d'autorégulation ou pas (ex. stéréotypies, écholalie), la possibilité de prendre de la médication ou pas (et son efficacité, par exemple pour limiter l'anxiété ou permettre un sommeil suffisant), etc.
Certaines journées, une personne autiste se réveille en forme et un soutien léger suffit (quelques accommodements judicieux par exemple). Puis une suite d’événements et de surstimulations sensorielles peuvent la fatiguer au point qu'elle a besoin d’un soutien important en après-midi. Finalement, elle peut se retrouver carrément en état de crise en soirée, requérant alors un soutien très important.
Un blogueur autiste utilisait une analogie intéressante, la table de mixage, vous savez, ce genre de truc :
Un peu plus de stimuli sensoriels... un peu moins d’accommodements... et nous obtenons... un niveau de sévérité 2... jusqu’à ce que le niveau de fatigue augmente et que le niveau de sévérité augmente aussi!
Tout cela étant dit, effectivement en général, la personne autiste excellente pour la réalisation de certaines tâches et d’autres sont pratiquement impossibles à réaliser pour elle. Il y a somme toute assez peu de tâches pour lesquelles une personne autiste n'est pas dans un extrême ou l’autre. Alors que pour les personnes neurotypiques, c’est habituellement le contraire, elles sont assez bonnes dans pas mal tout, excellent dans un petit nombre de tâches et sont incapables d’effectuer seulement un petit nombre de tâches. Un autre hic, c’est que les tâches dans lesquelles les personnes autistes excellent ne sont pas nécessairement valorisées par la société. Elles peuvent être considérées comme inutiles ou même nuisibles.
Le phénomène de la vallée de l'étrange
Un autre important facteur d'exclusion sociale pour les personnes autistes est le phénomène de la vallée de l'étrange.
La personne autiste qui ne réussit pas à avoir l’air neurotypique (non autiste) provoque nécessairement des réactions chez les autres personnes. Les gens sont généralement soit du type qui « craint » les différences, soit du type qui est attendri par les différences.
La personne attendrie aura des réactions favorables telles qu’aider la personne autiste, être à son écoute ou la protéger.
La personne inquiète à propos de la différence est incertaine ou craintive et peut-être frustrée ou fâchée de devoir côtoyer cette personne qui lui fait vivre de l’anxiété. Aucun humain n’aime ressentir des émotions négatives. Alors il est tout à fait normal que la réaction de la personne qui craint les différences soit l’activation de ses mécanismes de défense psychologiques quand elle est en présence d'une personne autiste. Son cerveau tente de la protéger face au danger perçu. Le hic, c’est que lorsque nous agissons en fonction de nos mécanismes de protection, nous avons des réactions nuisibles ou destructrices envers l’autre. Par exemple : le rejeter, le ridiculiser, l’insulter, le stigmatiser ou même l’agresser verbalement, psychologiquement ou physiquement.
Malheureusement, la violence en continu à l’école, au travail et dans toutes les sphères sociales est encore vécue par les enfants, adolescents et adultes autistes. Et elle entraîne des séquelles psychologiques sévères et durables.
Voici maintenant une analogie avec les robots. Attention : nous ne disons pas que les personnes autistes sont des robots, c’est une métaphore.
La vallée de l’étrange est le nom donné à la sensation d’étrangeté et d’aversion qu’un humain ressent quand il interagit avec un robot qui ressemble beaucoup à un humain. Notre cerveau juge le robot humanoïde, son comportement, ses postures, ses expressions faciales, etc. Mais notre cerveau ne le juge pas selon nos attentes face à un robot. Il le juge selon nos attentes face à un humain, parce qu’il ressemble plus à un humain. Si on le jugeait selon un standard « robot », on ne ressentirait pas une sensation d’anormalité. Mais, comparé au standard « humain », le robot humanoïde ne réussit pas à répondre à 100% au standard et on le juge « bizarre ». Ce qui active notre réaction d’aversion à l’étrangeté et cette réaction est automatique et impossible à réprimer totalement. Elle se produit en quelques secondes, dès le début de l’interaction sociale. L’aversion à l’étrangeté était sûrement utile dans notre passé lointain. Par exemple, un individu qui avait un comportement bizarre pouvait être atteint de la rage. Il fallait l’exclure du groupe.
Pendant nos interactions avec les personnes neurotypiques, nous sommes jugés selon le standard humain neurotypique. Mais nous n'avons pas la capacité de répondre à ce standard à cause de nos déficits cognitifs et donc nous échouons à l’atteindre. Et nous sommes perçus comme bizarres, comme le robot humanoïde, parce que nous avons une posture particulière ou nous faisons des mouvements inattendus ou notre expression faciale et ton de voix ne correspondent pas à ceux qui sont attendus.
La personne autiste qui masque son autisme aura les réactions favorables seulement si elle réussit à vraiment bien masquer son autisme en tout temps. C’est possible seulement quand elle est reposée, calme, sans aucune source de stress importante. Dès que son personnage neurotypique sera imparfait, la personne autiste sera perçue comme étrange. La personne autiste ne peut pas faire mieux, elle est coincée dans la vallée de l’étrange, hors de portée de la réaction empathique envers un autre humain à laquelle est devrait avoir droit. Le cerveau des personnes neurotypiques la classe dans les catégories source de danger ou mauvaise personne. Vous pouvez ressentir de l’incertitude, de l’inquiétude, de l’anxiété, de la frustration, de la colère, de la peur, de la haine, du dédain ou du dégoût face à cet être que votre cerveau ne réussit pas à classer dans la catégorie humain neurotypique. Et bien sûr, les gens doivent se protéger face au danger perçu et ils le font en rejetant la personne autiste, en la ridiculisant, en l’insultant, en la stigmatisant ou même en l’agressant verbalement, psychologiquement ou physiquement. Le problème, c’est que cette personne autiste n’est pas un robot humanoïde. Cette personne autiste est un humain.
Les personnes neurotypiques ont le pouvoir de changer la situation. Pour commencer, vous pouvez dès aujourd’hui prendre conscience du fait que votre aversion envers la personne autiste n’est pas causée par une source de danger réel, mais simplement par le fait que la personne autiste ne réussit pas à se plier aux normes d’interactions sociales. Par exemple regarder dans les yeux ou adopter tel ton de voix en telle circonstance.
Vous pouvez apprendre à mieux connaître la personne, en la questionnant, en consultant ses proches et intervenant(e)s ou d'autres adultes autistes. Les gens qui sont non familiers avec l’autisme pensent que nous mentons ou que nous sommes désintéressés de la conversation parce que nous ne les regardons pas quand ils nous parlent. Mais une déficience cognitive fréquente chez les personnes autistes est qu'elles sont incapables de traiter simultanément les informations de plus d’un sens. Si la personne autiste porte attention à la parole, elle ne peut porter en même temps attention aux micromouvements incessants de votre visage. Elle regarde donc un objet fixe pour être concentrée sur vos propos. Elle vous fait preuve d’intérêt et de respect, mais elle est perçue comme une mauvaise personne. Vous avez la capacité de remettre en question votre ressenti instinctif et de vérifier vos interprétations. Nous n’avons pas la capacité de mieux masquer nos déficits.
Les intérêts spécifiques de la personne autiste peuvent aussi provoquer la réaction d’aversion à l’étrangeté.
Sûrement qu’au moins l’un(e) d’entre vous se dit : mais je ne suis pas comme ça! Je n’ai pas d’aversion pour les personnes différentes! C’est possible. En psychologie, il y a une théorie des traits de personnalité qui se nomme le modèle des « Big Five ». Ce modèle dit qu’il y a des personnes qui sont davantage ouvertes à la différence et qui ont moins de craintes face à l’étrangeté. C’est le trait de personnalité « ouverture ». Les personnes qui ont un faible niveau du trait ouverture sont très stressées par le changement, la nouveauté, l’originalité et la prise de risques. Alors, si cela vous correspond, portez une attention particulière à vos réactions d’aversion à l’étrangeté. Recadrez votre cerveau, la personne autiste n’est pas plus dangereuse que les autres, elle est juste un peu bizarre.
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